[Interview] Isabelle Bokhari et Robraw Ann
Récit croisé de Robraw Ann et Isabelle Bokhari : une collaboration dans le cadre d'un partenariat franco-cambodgien pour renforcer la recherche en éducation et former les enseignants de demain autour des enjeux d'inclusion.
De Phnom Penh à Cergy : l’inclusion, une thématique en commun
En octobre et novembre 2025, 4 chercheurs cambodgiens et français effectueront une mobilité de recherche croisée suite à une sélection dans le cadre du Partenariat Hubert Curien (PHC) franco-cambodgien, Tonlé Sap. Ce projet « École inclusive : regards croisés et analyse des pratiques, mise en perspective Cambodge et France » lie 2 institutions d’enseignement supérieur : l’Institut National d’Éducation du Cambodge (INE) à Phnom Penh et Cergy-Paris Université, INSPE de l’Académie de Versailles.
Robraw ANN, enseignant-chercheur et formateur d’enseignants, Vice-Doyen de la Faculté de Pédagogie à l’Institut National d’Education (INE) revient sur cette collaboration franco-cambodgienne avec Isabelle BOKHARI, docteure en Sciences du langage, ETI / Conseillère auprès du Vice-Premier Ministre, Ministère de l’Education, de la Jeunesse et des Sports du Cambodge.

Une coopération au service de l'éducation inclusive
Quel est l’objectif principal de ce PHC ?
Robraw Ann : L’objectif principal de ce PHC (Partenariat Hubert Curien) est de renforcer les échanges scientifiques d’excellence entre les équipes de recherche des deux pays, avec l’implication de jeunes chercheurs et doctorants. Ce programme permet également d’avoir des regards croisés pour enrichir les approches pédagogiques. Ce PHC contribue en outre à l’amélioration qualitative et mutuelle des dispositifs de formation des professeurs en valorisant aussi les complémentarités institutionnelles et culturelles.
Voici le site internet : https://www.campusfrance.org/fr/tonle-sap
Comment s’est organisée la constitution du dossier de candidature commun INE / Cergy-Paris Université ? Quels ont été vos rôles respectifs ?
IB : Dans le cadre de la coopération universitaire avec le Cambodge, la proposition m’a été faite par l’Ambassade d’accompagner l’INE dans la réponse à l’appel à candidature PHC Tonlé Sap. J’ai donc proposé la thématique de l’inclusion aux équipes de l’INE tout en leur exposant le champ de recherche que cette thématique pouvait recouvrir. J’ai ainsi « fait fonctionner » mon réseau et mis en relation les deux institutions. Avec les équipes de l’INE et de Cergy Université, nous avons ensuite identifié de manière concertée les profils adéquats des participants au projet. Le dossier a ensuite été co-rédigé.
AR : La constitution du dossier de candidature commun entre l’INE du Cambodge et l’Université Cergy Paris s’est déroulée selon une démarche collaborative, structurée et concertée. Le projet a été d’abord officiellement présenté aux autorités éducatives de l’INE afin d’assurer leur adhésion institutionnelle et de garantir l’ancrage du partenariat dans les priorités nationales de formation et de recherche. Ensuite, une série de visioconférences a été organisée entre les équipes françaises et cambodgiennes, cequi a permis d’établir un dialogue constructif, de s’accorder sur les objectifs scientifiques et pédagogiques du projet, ainsi que sur les modalités pratiques de collaboration. Les partenaires ont convenu d’alimenter une plateforme commune, en partageant notamment les apports théoriques, les références bibliographiques et les outils de travail. Cette phase a consolidé la cohérence scientifique du projet et renforcé la dynamique de co-construction. Chaque partenaire a contribué à la rédaction selon ses domaines d’expertise respectifs, assurant ainsi une complémentarité des contenus et illustrant l’engagement équilibré et mutuel dans ce projet de coopération scientifique et éducative.
Pourquoi la thématique de l’inclusion ?
IB : La thématique de l’inclusion a été choisie comme axe central du projet. Au niveau institutionnel, il s’agit de l’une des thématiques prioritaires du Plan Stratégique d’Éducation du Ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports (MEJS) du Cambodge. Par ailleurs, l’approche inter-culturelle est une plus-value dans le cadre d'un travail sur l'inclusion.
AR : Cette thématique de l’inclusion répond à un double objectif stratégique et pédagogique, à la fois pour l’INE et pour les établissements éducatifs du Cambodge. Il s’agit de développer à l’INE des modules de formation spécifiques sur l’inclusion à destination des étudiants-professeurs pour que ceux-ci puissent mieux répondre à la diversité des élèves et adapter leurs pratiques pédagogiques aux besoins particuliers, qu’ils soient liés à des handicaps, des difficultés scolaires, linguistiques ou sociales. D’autre part, la promotion de l’inclusion contribue directement à l’amélioration de la qualité de l’enseignement dans les établissements secondaires.
De la recherche à l'action : transformer pour inclure
Comment vont s’organiser les recherches / analyses collaboratives ?
AR : L’organisation des recherches et analyses collaboratives dans le cadre de ce projet repose sur une méthodologie partagée et une coopération étroite entre les équipes de France et du Cambodge. Tout d’abord, la conception collaborative des outils de recherche est en cours. Cette phase préparatoire mobilise les partenaires autour de l’élaboration de questionnaires, en tenant compte des contextes éducatifs respectifs. Ces outils serviront à encadrer les collectes de données prévues avant les mobilités croisées à l’automne 2025. Des visites d’établissements scolaires et universitaires partenaires seront organisées (visite de l’INSPE - Institut national supérieur du professorat et de l’éducation), afin de nourrir la réflexion sur les dispositifs de formation inclusive en France, et de favoriser les échanges d’expertise. Enfin, les données collectées seront analysées de manière collaborative à travers une plateforme de travail mutualisée. Cet espace numérique partagé permettra aux chercheurs des deux pays de croiser les analyses, de confronter les résultats et de co-construire les interprétations, en vue de produire des recommandations opérationnelles pour la formation des enseignants.
Quel impact pour l’INE et le Cambodge de façon générale ?
AR : L’impact de ce projet pour l’INE, et plus largement pour le Cambodge, s’annonce significatif à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le projet favorisera la production d’articles scientifiques co-écrits par des chercheurs des deux pays. Ces publications conjointes nourriront la recherche dans les deux pays sur la thématique de l’inclusion, valoriseront les résultats des recherches menées et donneront une visibilité internationale aux problématiques éducatives cambodgiennes. Ces recherches devraient en outre contribuer à la reconnaissance académique de l’INE comme un acteur de la recherche en éducation. Par ailleurs, le projet offre une opportunité structurante pour le développement de parcours de recherche individuels, notamment à travers la poursuite d’une thèse pour le doctorant cambodgien impliqué dans le projet. Cela représente un levier de professionnalisation et de montée en compétences pour les jeunes chercheurs du Cambodge. Enfin, sur le plan institutionnel, le projet pourrait catalyser le renforcement de la recherche à l’INE, en posant les bases pour la création d’un véritable laboratoire ou centre de recherche en éducation, tout en enrichissant les formations proposées aux futurs enseignants. Enfin, en formant des enseignants sensibilisés et préparés aux enjeux de l’inclusion, la construction d’un environnement scolaire plus équitable, plus bienveillant et plus efficace pour tous les élèves sera favorisé. L’inclusion devient ainsi un levier de transformation des pratiques éducatives et de réduction des inégalités.
IB : De mon point de vue, cette collaboration scientifique comparée, autour de la thématique de l’inclusion, entre les deux établissements d’enseignement supérieurs français et cambodgiens, viendra indubitablement enrichir les pratiques d’enseignement et de formation de Phnom Penh à Cergy dans une approche de recherche-action-intervention. Je dois avouer ma satisfaction de voir cette coopération prendre forme. J’aurai hâte d’échanger avec mes deux collègues cambodgiens à leur retour de leur mobilité à l’automne. D’ailleurs un second article devrait relater plus avant ces mobilités croisées de l’automne 2025, avec l’interview du chef de projet de CY Cergy Paris Université / INSPÉ de l'Académie de Versailles.